1848 : Les Savoyards de Paris demandent la réunion de la Savoie à la France |
Le
présent document rapporte l'intervention du 15 mars 1848 des Savoyards
de Paris auprès de Lamartine, chef du Gouvernement provisoire de la
République, et la réponse de ce dernier.
Pour plus de détails,
consulter l'ouvrage "1848, quel destin pour la Savoie?"
de Maurice Messiez et Paul Guichonnet.
Le
docteur Buet est originaire de Saint-Jean de Maurienne. Il est
président de la Société philanthropique des Savoyards de Paris qui
s'occupe notamment de trouver du travail aux Savoyards. Il conduit la
délégation accompagné de l'astronome Alexis Bouvard.
Le
docteur Buet commence par dire son admiration pour l'héroïsme du peuple
de Paris, puis il proclame son attachement à la République Française et
offre le concours de ses compatriotes pour le service de la garde
nationale. Puis, il en vient à la demande d'intervention de la
France en faveur de la Savoie, dont le texte est le suivant :
Les
mots de Liberté, Fraternité ont retenti dans nos montagnes et dans nos
vallées, ils y ont donné une nouvelle force aux sentiments de sympathie
et d'enthousiasme que le peuple savoisien a toujours conservé pour la
France. Séparée par les traités de 1815, la Savoie, calme et patiente
jusqu'ici, s'est résignée à son sort. Mais chaque année de nombreuses
émigrations viennent chercher dans ce pays les ressources
intellectuelles et morales qu'elles ne peuvent trouver chez elles.
L'accueil fraternel qu'elles ont toujours reçu, la protection
bienveillante qui leur a toujours été accordée, ont dû leur inspiré ce
sentiment que la France est restée pour elles une seconde patrie. La
position géographique de la Savoie qui fait de cette contrée une des
frontières naturelles de la France, le langage de ses habitants, leur
caractère, leurs mœurs, leur nationalité qu'ils ont eu soin de
conserver est distincte des autres parties du gouvernement sarde, tout
concourt à ce que l'immense majorité du peuple savoisien se souvienne
que leur pays a formé autrefois les départements du Mont-blanc et du Léman.
Remarque
: l'intervention du docteur Buet traduisait certainement les sentiments
des Savoyards de Paris mais pas nécessairement ceux des Savoyards
restés au pays. D'ailleurs, ces derniers ne lui avaient donné
aucun mandat pour faire cette démarche. En Savoie, il y eut surtout des réactions négative.
En
recevant l'adhésion que vous apportez à la République, le gouvernement
provisoire croit recevoir l'hommage d'une partie même de la nation
française, comme l'a si bien dit votre honorable orateur. Les liens de
parenté morale, de fraternité nationale, d'union intellectuelle qui
subsistent et dont la langue commune est le signe depuis tant d'années
entre les deux peuples, s'ils n'ont pas effacé les frontières qui
séparent arbitrairement les nations sur la carte, ont effacé depuis
longtemps toutes les limites qui peuvent séparer l'esprit des deux
peuples. Le gouvernement provisoire reçoit avec bonheur le témoignage
de sympathie, d'amitié et, pour ainsi dire, de co-nationalité exprimé
dans votre adresse. Quant à moi, en particulier, qui ai l'honneur
d'être son organe auprès de vous, citoyens savoisiens, personne en
France ne pouvait, j'ose le dire, apprécier davantage votre présence
ici et votre adhésion à la République.
J'ai été, pour ainsi
dire, élevé dans vos montagnes, c'est là que j'ai respiré l'air
natal de la poésie qui a commencé ma modeste illustration auprès de
votre jeunesse: c'est là que j'ai eu, pour ainsi dire, une colonie de
ma propre famille et que j'ai été accoutumé, dès mes plus jeunes
années, à regarder la Savoie comme ma propre famille. C'est là que j'ai
connu ces vertus admirables dont votre population montre à toute
l'Europe; c'est là que j'ai admiré ces études sérieuses qui ont fait de
vous le peuple le plus littéraire, le plus libéral, le plus
intellectuel de tous les peuples; c'est là que j'ai contracté et que je
conserverai toujours mes plus tendres amitiés. Vous me permettrez ce
retour à des sentiments personnels comme une consolation de la vie
publique.
Quant
à l'adhésion que vous exprimez à la nation
française, vous comprendrez mes propres sentiments; si nous la
repoussons, nous froissons nos propres cœurs, si nous la recevons, nous
rompons la paix et l'alliance avec les peuples et les gouvernements. Or
nous l'avons dit et nous voulons que les paroles de la République
soient des paroles de vérité : nous ne romprons pas la paix du monde.
Mais si, indépendamment de nous, la paix du monde venait à se rompre
par une atteinte à l'indépendance de l'Italie, nous volerions à votre
secours, nous délivrerions l'Italie, nous joindrions notre drapeau au
votre; et si, ensuite, la carte de l'Europe venait à être déchirée sans
nous et contre nous, soyez convaincus, citoyens savoisiens, qu'un
fragment de cette carte resterait dans vos mains et dans les nôtres et
que nous mettrions le poids de vos cœurs dans la balance où l'Europe et
votre gouvernement lui-même pèseraient les territoires dont se
composerait le nouvel équilibre européen! Reportez ces paroles dans vos
Alpes, non comme des paroles de guerre, mais comme des paroles de
parenté, d'amitié et de
paix.