L'émigration a toujours eu une grande importance
dans le passé de la Savoie. Elle s'explique par une terre trop peu
généreuse pour nourrir tout son monde et où la longueur de la morte
saison interdit tout travail dans les champs. Ces causes et leurs
conséquences ne sont pas propres à la Savoie. On trouve le même
phénomène dans tous les pays de montagne.
L'image classique du Savoyard est celle d'un éternel
migrant. On en trouve, évidemment beaucoup en France du fait de la
proximité et de la langue et aussi pour les mêmes raisons à Genève et
dans les cantons suisses du nord du Léman qui firent partie de la
Savoie jusqu'en 1536. Certains allaient jusque dans les pays de langue
allemande et même en Espagne... Après la Révolution française de
1789, l'émigration s'est surtout développée vers la France et toujours
vers las cantons suisses proches.
Il n'y pas de statistiques précises et fiables sur
l'importance de l'émigration. Au 18ème siècle, on considère que
les émigrants représentent 30.000 habitants sur une population totale
de 300.000 habitants, soit un pourcentage de 10%.
Dans les années 1820-1860, les Savoyards sont en grand nombre en
France, alors terre étrangère, si bien qu'en 1840, 100 000 émigrés
résident dans la “Grande Nation” et principalement dans les villes
(soit 18% de la population totale du Duché).
A partir de 1850, on constate une émigration massive, si bien que la
population des deux départements passe de 545 000 habitants en 1851 à
460 000 en 1921. C'est au cours de cette période que les Savoyards
s'expatrient dans des pays lointains, notamment : Algérie, Mexique,
Argentine, Canada.
À la
figure emblématique du ramoneur, correspond en fait une diversité de
métiers : beaucoup d’itinérants, colporteurs, artisans,
commis-voyageurs, mais aussi des maîtres d’école et des ouvriers non
qualifiés. C'est une immigration de travail très majoritairement
masculine.
A Lyon, depuis toujours, il y
avait beaucoup de Savoyards. Mais ils n'étaient pas les seuls car
des immigrants venaient de toutes les régions entourant la Ville
(Ardèche, Loire, Haute-loire, Ain…).
Lyon avait besoin de main d'œuvre pour le textile et, plus tard, pour
la chimie et la mécanique et pour d'autres emplois qui en découlent
dans la construction (charpentiers, maçons…), dans le commerce ou dans
les services (domestiques). Généralement, les nouveaux arrivants
devaient accepter des "travaux de force", c'est à dire des travaux
pénibles. Exception faite des ramoneurs, l'âge des nouveaux arrivants
se situait autour de 20 ans.
Lors du rattachement à la France en 1860, on estime qu'il y avait environ 10 000 Savoyards à Lyon.
2-Etude sur l'émigration à Lyon au 16ème siècle : recensement de 1597
Le professeur Olivier Zeller a fait une étude très intéressante sur le recensement réalisé à Lyon en 1597.
A cette époque, les relations n'étaient pas bonnes entre la France et
la Savoie. En effet, le duc Charles-Emmanuel rêvait de reconstituer le
royaume de Bourgogne à son profit. Il menait une politique
aventureuse contre Genève et contre la France pour essayer de
récupérer le Dauphiné et même la Provence en profitant des désordres
crées en France par les guerres de religion.
Les lyonnais craignaient que le duc cherche à envahir Lyon. La crainte
était d'autant plus plausible que les états du duc arrivaient aux
portes de Lyon puisque les territoires du département actuel du
département de l'Ain faisaient partie de la Savoie. C'est par le traité
du 17 janvier 1601 qu'ils durent être cédés à la France (Bresse, Bugey,
Valromey, Pays de Gex).
Les autorités lyonnaises avaient également peur que la forte colonie
savoyarde de Lyon serve de "cinquième colonne". Dans ce cadre,
elles entreprennent le 4 septembre 1597 un recensement général de
la population. Mais l'inégalité des résultats de chaque quartier
s'étant soldée par l'impossibilité d'en extraire les éléments
recherchés, il est décidé de refaire un recensement des seuls sujets du
duc de Savoie. On leur demande, par affiches et par crieur, de se
présenter à l'hôtel de ville pour y décliner leur identité, lieu
d'origine, métier et ancienneté de leur habitation à Lyon. En
cinq jours, du 28 octobre au 3 novembre, 1530 personnes se firent
inscrire. On remettait à chacun une "bulette" qui garantissait contre
une expulsion arbitraire. 29 suspects furent expulsés, la plupart parce
qu'ils avaient eu le tort d'aller récemment en Savoie et donc d'avoir
eu des contacts avec l'ennemi.
Sur un échantillon de 1326 chefs de famille de Lyon,
il ressort du recensement que 21,3% viennent des états de
Savoie, c'est à dire nés dans ces états. Ce pourcentage est à la fois
faible et fort. Il est faible car les évaluations des
contemporains laissaient supposer que Lyon était une ville savoyarde.
Ainsi René de Lucinge, ambassadeur de Charles-Emmanuel lui écrit ceci
en 1586 : "les deux tiers de Lyon sont enfants descendus de
Savoyens et comme sujets de Votre Altesse". Mais ce pourcentage de
21,3% est considérable si on le compare aux autres courants
d'immigration. Alors que des hommes déclarant être nés à Lyon
représentent 22% seulement de la population totale, les Dauphinois font
7,2% et les originaires du Forez, du Lyonnais, du Beaujolais
représentent 18,3%.
Concernant l'origine géographique de ces Savoyards, elle est
naturellement inversement proportionnelle à la distance, soit : 39,9%
du département actuel de l'Ain (surtout Bugey 31,1%), 22,2% de Savoie
(surtout Savoie propre 17,6%), 20,2 % de Haute Savoie (surtout Genevois
11,8%), 3,6% du Piémont et 14,1% d'origine inconnue. Globalement, on
peut dire que ceux qui viennent de près forment le bataillon des
ouvriers non qualifiés tandis que ceux qui viennent de très loin sont,
le plus souvent, des spécialistes comme des musiciens turinois ou des
merciers de la Vallée d'Aoste.
Au niveau de l'occupation, les Savoyards sont à 24,6% dans le textile
(25% pour la population totale) mais ils sont plus nombreux dans les
catégories des "hommes de bras" que l'ensemble de la population : 12,4
% sont dans le bâtiment, 12 % sont affaneurs (manœuvres,
débardeurs, portefaix…) et 6,8% sont dans le transport. Il y a
cependant des Savoyards dans des emplois plus qualifiés, par exemple
des futainiers ayant acquit une expérience professionnelle dans
l'industrie de la futaine dans la région de Chambéry. On trouve
également beaucoup de Savoyards dans le commerce et dans l'hôtellerie
où ils font quelque fois figure de monopole.
Il y en a même des Savoyards dans l'élite lyonnaise : des membres des
chapitres lyonnais, des marchands tenant boutique rue Mercière, deux
étaient capitaines de la milice des pennonages et cinq notaires, bien
que la profession soit légalement interdite aux étrangers.
Bien que les statistiques fassent apparaître une
bonne intégration, il y avait néanmoins, des tensions par exemple
accusation de concurrence déloyale de la part d'artisans. On peut
observer que les tailleurs et chaussetiers lyonnais, en conflit avec
les fripiers, n'avaient pas trouvé meilleure invective que de les
traiter de sales juifs ou de savoyards.
Enfin le recensement de 1597 ne fait pas apparaître de ramoneurs mais
on ne peut conclure qu'il n'y en avait pas. De même, le recensement
effectué ne précise pas si les emplois sont saisonniers ou permanents.
3- Un exemple d'assistance aux "pauvres savoyards": les œuvres du Chanoine Cattet
L'émigration comportait des cotés sombres que les livres d'histoire ont
tendance à oublier. Il n'est pas douteux que les émigrés rencontraient
des problèmes dans leur vie courante : logement, nourriture, hygiène,
travaux pénibles ou absence de travail, isolement familial…. La
situation était d'autant plus précaire pour les jeunes enfants, les
ramoneurs notamment.
C'est pour soulager ces misères que des œuvres charitables s'étaient
créées mais essentiellement ou exclusivement dans le cadre de l'Eglise
catholique, ceci pour répondre au commandement d'aimer son prochain et
pour éviter que cette population ne s'éloigne de l'église.
A Lyon, on a l'exemple du chanoine Cattet qui consacra plus de 40 ans
de sa vie à animer des œuvres dont "l'œuvre des pauvres savoyards de
Lyon". La population concernée était uniquement des hommes et des
jeunes gens car à cette époque, les femmes étaient peu nombreuses à
émigrer et, de toute façon, elles avaient des activités spécifiques.
voir la page Travaux où figure un article sur les oeuvres de l'abbé Cattet.